3 questions à Roberto Biedma-Rufini, formateur LSF et conférencier Urgence 114

Roberto Biedma-Rufini est formateur sourd en LSF et conférencier pour Urgence 114. Présent depuis la genèse de la plateforme, il a pu voir les évolutions de celle-ci, que ce soit en termes techniques et en visibilité.
En contact direct avec les publics usagers, il a aussi pu observer les progrès d’accessibilité faits au cours des dernières années.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours au sein du 114 en quelques mots ?

Je suis arrivé dans l’univers des urgences en janvier 2011. Avant même que la plateforme Urgence 114 n’existe officiellement ! J’ai alors eu la chance de suivre une formation auprès des services d’urgence comme le SAMU, la police et les pompiers. Grâce à cette formation, j’ai pu comprendre comment les services d’urgence fonctionnaient, quelles étaient les urgences les plus courantes, etc. L’objectif, à ce moment-là, était de former une première équipe de six agents de régulation : trois sourds et trois entendants signants. Pendant sept mois, j’ai pu me former aux côtés d’un médecin signant, d’un interprète LSF et de collègues sourds. On était tous motivés par la même chose : faire en sorte que les urgences soient accessibles à tous.

Le 11 septembre 2011, la plateforme a officiellement ouvert. Les personnes sourdes, sourdaveugles, et malentendantes pouvaient enfin gagner en autonomie sans avoir à contacter un proche pour une urgence. Depuis, j’ai évolué au sein du service, je suis aujourd’hui chargé de communication. Je donne des conférences partout en France pour faire connaître Urgence 114, expliquer comment le service fonctionne, et surtout montrer que c’est un droit d’avoir accès aux services d’urgence, peu importe qu’on soit sourd ou entendant.

 

On sait que la plateforme a évolué au fil des années pour justement s’adapter et répondre aux usages des utilisateurs. Pourriez-vous revenir sur ces évolutions ?

Lorsque le service 114 a été lancé, les premiers échanges se faisaient uniquement par fax ou par SMS. C’était déjà une avancée, mais loin d’être suffisante. Lors de mes nombreuses interventions auprès de nos publics, beaucoup de personnes sourdes me parlaient de la difficulté à s’exprimer clairement en français écrit, surtout pour décrire une situation médicale. Les termes techniques, les émotions dans l’urgence, tout ça, c’est compliqué quand ce n’est pas dans sa langue naturelle.

Très vite, une demande forte est remontée : il fallait un service de visiocommunication pour pouvoir signer directement avec un agent. C’est ce qui a motivé le développement de l’application, lancée en 2018. Grâce à la visio, les personnes sourdes peuvent aujourd’hui communiquer à égalité avec les entendants. On comprend mieux les situations, on est plus précis et rapide dans la prise en charge.

En parallèle, on a ajouté d’autres outils : un service de tchat pour la communication instantanée et la possibilité d’envoyer des images, ce qui s’est révélé très utile, notamment pour les personnes aphasiques ou dans des situations où les mots manquent. Au début, on recevait environ 30 demandes par jour, la plupart par SMS. Aujourd’hui, on est à près de 100 alertes quotidiennes, majoritairement en visio ou en tchat. Le nombre d’utilisateurs augmente chaque année, ce qui montre que le service répond à un vrai besoin.
Mais il reste encore du chemin à parcourir : certaines régions sont encore peu informées de l’existence du service. La formation du public permet aussi de faire évoluer les mentalités : aujourd’hui, les personnes sourdes connaissent mieux leurs droits. C’est pourquoi il me semble essentiel de poursuivre les actions de sensibilisation, de continuer à faire connaître le service et ses évolutions.

 

Et justement , quels sont d’après vous les actions prioritaires pour faire connaître le 114 ?

En tant que formateur, je pense qu’il est nécessaire de poursuivre les actions de sensibilisation à grande échelle. Les campagnes dans les médias, à la télévision et dans les services publics restent des leviers puissants pour toucher le grand public. Elles doivent aussi mettre en lumière les évolutions du service, notamment l’application mobile du 114, encore méconnue. Par manque d’information, certaines personnes sourdes n’osent pas utiliser le 114 et se tournent vers le 15.

L’éducation des jeunes publics constitue également un enjeu stratégique. Des premières actions ont été menées dans les établissements scolaires : cette dynamique doit être renforcée pour sensibiliser les enfants et les adolescents dès aujourd’hui, car ils sont les adultes de demain.

Autre levier essentiel : la mobilisation des institutions relais comme la CAF, la Sécurité sociale, les hôpitaux, les collectivités locales et nos partenaires. Ce rôle de porte-parole a l’avantage d’être au plus près des usagers lors des démarches administratives ou des parcours de soins.

Enfin, pour résumer le 114 est un service qui a su évoluer au fur et à mesure des années en s’adaptant aux besoins des personnes sourdes, sourdaveugles, malentendantes et aphasiques.

Aujourd’hui, je suis heureux de travailler pour le tout premier service d’urgence au monde intégrant tous les modes de communication accessibles aux personnes sourdes et malentendantes.